Sophie Pellat-Velluire aime ignorer que les choses sont impossibles. Elle n’a jamais trouvé de meilleure façon de les accomplir. Ainsi lorsqu’elle intègre ENSTA Paris en 1985, cette scientifique amatrice de littérature et d’arts s’étonne que, dans une école censée former des dirigeants, si peu de place soit accordée aux arts et à la culture.
« J’ai ressenti un très fort besoin de quelque chose en plus. Je n’imaginais pas pouvoir me développer qu’avec les maths et la physique. Alors je suis allée voir le directeur des études de l’époque, M. Kerbrat, et lui ai proposé de rajouter en parallèle au tronc commun un cours d’histoire de l’art. J’ai choisi ce sujet à la fois par affinité personnelle et parce que cela rassemblait les aspirations d’ouverture des étudiants – j’avais fait un sondage ! Je m’étais auparavant renseignée sur ce que proposaient les profs de l’École du Louvre, afin de préparer la mise en place. Et c’est comme cela que les premiers cours d’histoire de l’art sont arrivés à l’École… »
Ce qui est aujourd’hui un marqueur fort d’ENSTA Paris, avec un enseignement de culture générale occupant 21h par semestre les deux premières années du cycle ingénieur, fut perçu à l’époque comme une petite révolution.
Son diplôme d’ingénieur en poche, Sophie Pellat-Velluire est admise au master entrepreneuriat d’HEC. « À ENSTA Paris, j’avais acquis une capacité technologique indéniable. Mais avant de la mettre en œuvre, je voulais comprendre à quelles fins, et dans quel contexte. »
Ces questions, elle les pose aujourd’hui encore aux élèves ingénieurs du parcours entrepreneuriat de troisième année d’ENSTA Paris dont elle assure une partie des enseignements.
« Mon intention, c’est de leur permettre de développer tous les éléments complémentaires grâce auxquels ils vont se dire qu’ils peuvent vraiment être des dirigeants, et que leurs capacités seront mises au service de quelque chose qu’ils ont choisi. »
Des principes qu’elle défend aussi au sein de la structure qu’elle codirige, le Startup Studio INRIA, une structure hybride entre investissement et incubation.
« Le Studio est une entité d’émergence de projets. Pendant un an, on donne aux scientifiques porteurs de projets dans le domaine du numérique l’opportunité d’être financés afin d’explorer en détail l’opportunité de créer leur entreprise ; et le go/no go leur appartient. »
C’est d’ailleurs à INRIA que Sophie Pellat-Velluire a débuté sa carrière.
« J’ai fait mon stage de fin d’études à INRIA, et j’ai beaucoup aimé cet institut. Je voulais commencer par comprendre profondément, de l’intérieur, ce qui se passait dans l’informatique.»
Cette première étape accomplie et après un passage en développement informatique en société de service, elle rejoint des cabinets de conseil où elle se prend de passion pour un type de mission parmi les plus difficiles : aider de petites équipes très motivées à gérer des projets hors-normes.
« Il fallait les aider d’abord rationnellement, leur permettre de bien comprendre les problématiques pour qu’ils se concentrent sur l’essentiel. Mais il fallait aussi gérer ce paradoxe : une petite équipe très motivée, avec beaucoup d’intentions et d’objectifs, c’est une force mais c’est aussi une véritable bombe émotionnelle. Comment faire pour que tout cela n’explose pas en vol et garantir que le projet aboutisse ? »
Aujourd’hui encore, c’est le même genre de défi que Sophie Pellat-Velluire aime relever.
« J’ai toujours eu besoin de créer et de développer. C’est fondamental chez moi. Ça s’est exprimé initialement sous la forme d’une rébellion parce que je n’acceptais pas le système tel qu’il était. Et puis je me suis rendu compte que je pouvais agir. »
Une prise de conscience qu’elle cherche à présent à susciter chez les étudiants ou porteurs de projets qu’elle accompagne.
« Qu’est-ce qu’un créateur, un entrepreneur ? Fondamentalement, une personne qui ne se satisfait pas de ce qui existe, parce que ce n’est pas conforme soit à ses idéaux, soit à une nécessité, soit à ses désirs. Mes étudiants, je suis là pour les ouvrir à la culture de l’entrepreneuriat et favoriser leur créativité, pour faire en sorte qu’ils s’autorisent à penser le monde avec leurs propres yeux après des années de formation scolaire. L’enseignement que je propose depuis maintenant 20 ans n’est pas un cours, mais un parcours, que les étudiants doivent eux-mêmes accomplir. Je suis simplement là pour les aider à y faire les premiers pas. C’est bien sûr en résonance avec ce que nous avons mis en place au startup studio, et relève du management des talents. »