Depuis le lancement de la stratégie nationale hydrogène par le gouvernement en septembre 2020, de nombreuses questions se posent sur l’utilisation de ce gaz en tant qu’alternative aux énergies fossiles. Comprenez-vous ces interrogations ?
Bien sûr, et il est tout à fait légitime de s’interroger sur la pertinence de cette solution face aux immenses défis de la transition écologique et de la décarbonation de notre économie. Mais je rappellerais tout de même que l’hydrogène est un gaz exploité industriellement depuis longtemps, et dont nous connaissons parfaitement les caractéristiques. Le vrai défi aujourd’hui, c’est de le produire en masse de façon « verte », sans utiliser d’hydrocarbures comme matière première.
A ENSTA Paris, nous avons la chance de disposer d’une plateforme pilote Hydrogène qui rassemble en un même lieu des méthodes alternatives de production et de stockage de l’hydrogène : pyrolyse de la biomasse, stockage solide sous forme d’hydrures, ou dans des matériaux poreux, nous étudions différentes pistes avec nos partenaires industriels.
Pour moi il est clair que, du fait des conditions de sécurité qu’il nécessite, l’hydrogène sera d’abord utilisé dans le cadre de processus industriels très maîtrisés, comme la verrerie ou la sidérurgie, entre autres. Et cela tombe plutôt bien puisque ces industries sont aujourd’hui de grandes productrices de CO2.
Il y a aussi la question de l’utilisation de l’hydrogène dans l’aérien, avec de premières propositions de designs qui ont été accueillies avec scepticisme par certains.
Le problème des utilisations aéronautiques est lié au fait que l’hydrogène est une substance très peu dense, nécessitant des réservoirs de grand volume, ce qui réduit d’autant la capacité d’emport de fret et de passagers. Mais Airbus a cependant le projet de mener prochainement des essais de réacteurs modifiés de façon à fonctionner à l’hydrogène sur un A380, appareil dont le très grand volume permet l’emport de quantités significatives d’hydrogène. L’expérience fournira de premiers éléments concrets de réponse sur le réel potentiel de l’hydrogène en la matière.
Dans une interview accordée au Point, vous évoquez le fait que la France pourrait être un leader européen en matière de production d’hydrogène décarboné. Pourriez-vous préciser cet aspect ?
La France a en effet tout pour être un leader européen naturel en la matière. D’abord, en tirant partie de son parc nucléaire produisant une énergie décarbonée, afin de produire de l’hydrogène par électrolyse « classique ».
Ensuite, dans une perspective probablement plus prometteuse, il serait possible d’utiliser une méthode de production dite de l’électrolyse à haute température (HTSE : High Temperature Steam Electrolysis), dans laquelle c’est à partir de l’eau en phase vapeur que l’électrolyse est réalisée.
Les réacteurs nucléaires actuellement en fonctionnement produisant de grandes quantités de vapeur d’eau qui sont aujourd’hui simplement libérées dans l’atmosphère, il serait tout à fait envisageable d’envoyer cette vapeur d’eau dans un électrolyseur, une partie de la chaleur de la vapeur d’eau apportant l’énergie nécessaire à la réaction d’électrolyse. Avec la relance annoncée du programme nucléaire français, on pourrait même imaginer de nouvelles centrales conçues dès le départ pour fonctionner en cogénération, couplées à un dispositif de production d’hydrogène à haute température. Ça, ça serait une vraie révolution.