Quel sera le futur de l’analyse stochastique ?

Du 8 au 12 janvier s’est tenue une école de recherche d’hiver sur l’analyse stochastique au centre international de rencontres mathématiques (CIRM) de Luminy. Francesco Russo, enseignant-chercheur de l’Unité de mathématiques appliquées d’ENSTA Paris, en était co-organisateur. Il est revenu pour nous sur les enjeux de cet événement.

En simplifiant à l’extrême, on pourrait dire que l’analyse stochastique est née dans une fleur : découverte aux États-Unis en 1806, Clarkia pulchella est une herbacée dont les petites fleurs portent d’originaux pétales trilobés. A l’été 1827, cette plante va entrer dans l’histoire en passant sous le microscope du botaniste écossais Robert Brown, lequel cherche à classer les végétaux selon la forme de leurs grains de pollen.

Clarkia pulchella, la plante grâce à laquelle a été découvert le mouvement brownien
Clarkia pulchella, la plante grâce à laquelle a été découvert le mouvement brownien. Crédit : Forest Service of the United States, Department of Agriculture.

Plaçant ceux de Clarkia pulchella en suspension dans l’eau, Brown en voit sortir de minuscules particules, des petites boules de lipides se déplaçant en tous sens et changeant fréquemment de direction, sans aucune logique apparente. Qu’est-ce qui peut bien déterminer ces changements d’orientation soudain ? Les premiers éléments de réponse à cette énigme du « mouvement brownien » mettront plusieurs décennies à venir avec les travaux de Louis Bachelier, puis Albert Einstein lui-même.

Les développements mathématiques nécessaires pour cela constitueront les fondements de l’analyse stochastique. Pour faire simple, le secret du mouvement brownien, c’est que les particules lipidiques, macroscopiques, changent de direction du fait des impacts avec les molécules, microscopiques, du fluide dans lequel elles baignent. « Cette relation entre microscopique et macroscopique est au cœur de l’analyse stochastique » souligne Francesco Russo enseignant-chercheur de l’Unité de mathématiques appliquées d’ENSTA Paris.

Robert Brown, botaniste écossais qui a découvert le mouvement qui porte depuis son nom
Robert Brown, botaniste écossais qui a découvert le mouvement qui porte depuis son nom, peint par Henry William Pickersgill

« Stochastique est un synonyme d’aléatoire » poursuit-il. « L’analyse stochastique est un domaine à l’interface entre les probabilités et l’analyse, c’est-à-dire les équations aux dérivées partielles. On pourrait dire que le calcul stochastique, c’est du calcul déterministe dans lequel a été ajouté du bruit aléatoire, ce qui fait que le calcul se complexifie. »

 

Développé initialement pour expliquer cet intrigant mouvement des particules issues de grains de pollen, le calcul stochastique va trouver au cours du XXe siècle à s’appliquer à de très nombreux domaines : théorie cinétique des gaz, chimie, aéronautique, mathématiques financières, l’analyse stochastique est partout. « Si on regarde l’évolution d’une action à la bourse, on observe quelque chose de très irrégulier, une trajectoire continue, mais qui change tout le temps de direction : typiquement un mouvement brownien ! » confirme Francesco Russo.

Approximation d'un mouvement brownien bidimensionnel par une marche aléatoire de 3 000 pas dont chaque pas est gaussien en abscisse et en ordonnée.
Approximation d'un mouvement brownien bidimensionnel par une marche aléatoire de 3 000 pas dont chaque pas est gaussien en abscisse et en ordonnée. Crédit : Wikipedia

Aujourd’hui, des chercheurs testent la pertinence de l’analyse stochastique dans l’anticipation de l’évolution de tumeurs, la création de nouvelles molécules thérapeutiques, ou encore l’optimisation de la consommation énergétique.

« Depuis l’obtention de la médaille Fields par Martin Hairer en 2014, l’analyse stochastique est redevenue un sujet central et est aujourd’hui un domaine en pleine effervescence, même en mathématiques pures », se réjouit Francesco Russo.

Martin Hairer, lauréat 2014 de la médaille Fields
Martin Hairer, lauréat 2014 de la médaille Fields. Crédit : The Royal Society

En mars dernier, Francesco Russo a obtenu de l’Agence nationale de la recherche (en coordination avec l’agence homologue de l’État de Sao Paulo au Brésil) un financement sur 4 ans pour son projet « Analyse stochastique et déterministe pour des modèles irréguliers », dont l’acronyme en anglais est SDAIM ; ceci en coordination avec des chercheurs de CentraleSupélec, de l’École polytechnique et l’Université de Lille. L’ambition de ce projet est, entre autres, de décrire et étudier, grâce à l’analyse stochastique, des phénomènes irréguliers en hydrodynamique, oncologie, économie, ou systèmes complexes.

 

Le professeur Francesco Russo accompagné d'étudiants
Le professeur Francesco Russo accompagné d'étudiants. Crédit : ENSTA Paris

« Il s’agit d’un projet scientifique solide avec une série de projets coordonnés ayant pour but de faire avancer différents domaines, et aussi de former une nouvelle génération de chercheurs » commente Francesco Russo. L’école d’hiver était le premier événement d’ampleur internationale organisé dans ce cadre.

Composée d’une série de cours donnés par des spécialistes reconnus de la discipline, mais également d’exposés par de jeunes chercheurs, cette école d’hiver a permis de révéler le foisonnement que connaît actuellement l’analyse stochastique, et les nombreux intérêts de recherche qu’elle suscite à travers le monde.

Le Comité d’organisation de l’école de recherche sur l’analyse stochastique était composé de Christian Olivera (UNICAMP), Alexandre Richard (Université Paris-Saclay), Francesco Russo (ENSTA Paris) et Milica Tomašević (CNRS, École polytechnique).

Le Comité scientifique était pour sa part constitué de Anne de Bouard (CNRS – École polytechnique), Gabriela Planas (UNICAMP), Paolo Ruffino (UNICAMP) et Frederi Viens (Rice University).

Les cours principaux ont été assurés par Ana Bela Cruzeiro (Instituto Superior Técnico, Lisboa), Franco Flandoli (Scuola Normale Superiore, Pisa)  et Benjamin Jourdain (Ecole des Ponts et Chaussées).