Comment naissent les vocations ? C’est souvent un subtil équilibre entre hasard et nécessité, curiosité et soif d’apprendre. Dans le cas d’Hela Mhiri, cela a commencé pendant ses études à l’Institut préparatoire aux études d’ingénieur de Sfax, en Tunisie. Elle se découvre un intérêt prononcé pour le « Machine Learning », encore appelé apprentissage automatique en français.
Cette capacité qu’ont les réseaux de neurones profonds à apprendre par eux-mêmes simplement à partir de données fascine la jeune étudiante, si bien qu’elle entreprend de suivre des cours en ligne sur le sujet afin de mieux le comprendre. L’intérêt ne se dément pas, et la préparationnaire se prend au jeu : elle décide de participer à des concours en ligne de Machine Learning sur des plateformes dédiées comme KAGGLE ou ZINDI.
« Je me suis beaucoup investie sur ZINDI, plateforme dédiée aux startups du continent africain. Celles-ci peuvent venir y déposer leurs problématiques et leurs données à la recherche de propositions de solutions » se souvient Hela Mhiri. « L’algèbre que j’apprenais à la même période en classe prépa était très utile pour avancer rapidement sur les fondements de la théorie. »
A l’issue de ses deux années de classe prépa, classée dans les 15 premières places du concours tunisien d’accès aux grandes écoles d’ingénieurs, Hela Mhiri se voit proposer d’intégrer ENIT-Techniques Avancées, le cursus de double diplôme réunissant l’École Nationale d’Ingénieurs de Tunis et ENSTA Paris. Également pourvue d’une bourse de l’État tunisien, elle arrive en France en septembre 2021, dans les derniers soubresauts de la pandémie de COVID 19, des circonstances qui paradoxalement ont sans doute eu une influence bénéfique sur son parcours.
« Depuis le lycée, j’étais passionnée par la physique quantique, et la 1ere année d’ENSTA Paris comporte un cours très avancé sur le sujet. Mais à cause de la pandémie, la date d’examen était sans cesse repoussée ! J’ai donc énormément révisé ce cours, au point de me sentir très familiarisée avec le sujet. »
Hela partage cette passion pour le quantique avec un ami d’une autre école, et de la même manière qu’elle s’était formée au Machine Learning, ensemble ils se motivent pour s’auto former et approfondir le sujet du calcul quantique :
« Nous avons commencé par les algorithmes quantiques fondamentaux, notamment l’algorithme de Shor pour la factorisation des entiers et celui de Grover pour la recherche dans une liste, offrant des gains significatifs en termes de rapidité par rapport aux algorithmes classiques. »
À la fin de la deuxième année d’ENSTA Paris, les élèves se doivent de mener un projet de recherche sous forme d’un stage de 4 mois dans un laboratoire. Pour Hela, ce sera le LIP6, le laboratoire d’informatique de Sorbonne Université, en adéquation avec sa majeure en mathématiques appliquées. Elle va avoir la chance d’y travailler avec Elham Kashefi, une des pionnières de l'informatique quantique aveugle, grâce à laquelle il est possible d’accéder à des ordinateurs quantiques distants pour traiter des données confidentielles à l'aide d'algorithmes secrets.
« J’ai eu l’opportunité de rejoindre un projet en cours dont la partie théorique était déjà développée en Machine Learning quantique. C’est donc du Machine Learning, à ceci près que pour traiter l’information on utilise les lois quantiques même si, en l’absence d’ordinateur quantique fonctionnel, on utilise des ordinateurs classiques pour optimiser. J’ai fait des simulations pour ce projet afin de prouver les théorèmes que l’équipe avait déjà établis, mais aussi pour découvrir d’autres idées à explorer. »
L’article décrivant ce projet est si novateur qu’il est soumis et accepté à la présentation par le comité de sélection de l’ICLR, une des plus importantes conférences annuelles sur le Machine Learning.
Loin de se reposer sur ses lauriers, Hela Mhiri n’en reste pas là et pour son projet de fin d’études de 3e année, décide de poursuivre dans cette discipline où elle a déjà fait de premiers pas décisifs.
« J’ai rejoint l’École polytechnique fédérale de Lausanne pour y faire du calcul quantique, sous la supervision de Zoe Holmes. Le type de problème sur lequel j’ai travaillé avait là encore à voir avec ces algorithmes où il y a interaction entre quantique et classique : le quantique pour traiter l’information, et le classique pour optimiser. Mais cette fois c’était beaucoup plus théorique et portait sur la caractérisation de la fonction qu’on cherche à optimiser, et les ressources dont on a besoin pour cela. »
Avant même sa remise officielle de double diplôme ENIT-ENSTA en mars prochain, Hela Mhiri a déjà démarré son travail de thèse sur les algorithmes quantiques variationnels, un concept clé de l’informatique quantique hybride, à nouveau sous la direction d’Elham Kashefi au LIP6.
Lorsqu’on lui demande le secret pour réussir à parcourir autant de chemin en si peu de temps dans un domaine de recherche en pleine effervescence, Hela Mhiri donne une réponse directement inspirée de sa jeune expérience : « Suivre ses propres centres d’intérêt, ne pas se limiter aux cours et travailler beaucoup par soi-même grâce aux nombreuses ressources disponibles en ligne, c’est le meilleur moyen pour défricher sa propre voie ! »