Début des années 2010, dans le village de Batié, à l’ouest du Cameroun. Un enfant d’une dizaine d’années regarde, fasciné, les documentaires que diffuse le poste de télévision familial, invariablement branché sur la chaine du National Geographic. « Il y avait pas mal de documentaires animaliers à l’époque, mais aussi plein d’émissions de vulgarisation scientifique » se souvient Ulrich Junior. « Mon père était un grand amateur de ces programmes et j’aimais beaucoup les regarder avec lui. Je n’y comprenais pas grand-chose à l’époque, mais je trouvais ça fascinant ! Et j’ai très vite eu envie de comprendre. »
Cadet d’une fratrie de 7 enfants, Ulrich Junior a toujours été encouragé à travailler dur à l’école. « Je viens d’une famille modeste d’un village rural d’une région montagneuse de l’ouest du Cameroun, sans université ni grandes perspectives professionnelles. Malgré cela, nos parents nous ont toujours élevés, moi et mes 6 frères et sœurs, dans l’idée qu’avec du travail et de la détermination, il était toujours possible de se créer des opportunités. »
C’est en cinquième qu’Ulrich Junior découvre ses premiers cours de physique, et c’est le coup de foudre. « La fascination que j’avais ressentie devant les documentaires scientifiques se doublait du plaisir de commencer enfin à comprendre les phénomènes sous-jacents. J’étais littéralement passionné par ces cours, posais plein de questions… J’apprenais avec une grande facilité, ma curiosité naturelle d’enfant ayant été aiguisée par ces heures de documentaires scientifiques. »
Jointe aux encouragements au travail et à l’assiduité de ses parents, cette curiosité insatiable d’Ulrich Junior lui permet d’être premier de sa classe en physique de la quatrième jusqu’à la terminale.
Une fois son baccalauréat en poche, et tout en suivant en parallèle un master en mécanique et génie civil à l’École Nationale Supérieure des Travaux Publics, il intègre l’École Normale Supérieure de Yaoundé, qui le destine à devenir enseignant. Mais Ulrich Junior rêve d’autre chose : poursuivre ses études à l’étranger afin de travailler dans le domaine spatial.
« Malheureusement, pour des raisons financières évidentes liées à une expatriation depuis l’Afrique, c’était un rêve inatteignable que je n’osais même pas évoquer devant mes parents. »
Malgré tout, Ulrich Junior ne se décourage pas et cherche des solutions, explore toutes les possibilités : Canada, Allemagne, France, il se renseigne sur les différents dispositifs qui lui permettraient de concrétiser son rêve.
En discutant avec d’anciens élèves, il entend parler du concours FUI (Filière universitaire internationale) des écoles de l’Institut Polytechnique de Paris. C’est un concours commun aux écoles de l’Institut, et dont les épreuves sont organisées dans le pays d’origine des candidats.
« Cette simple possibilité de passer le concours au Cameroun, à l’Institut français, a tout changé pour moi. Mon rêve reprenait vie ! »
Parmi les 5 écoles que comptait alors l’Institut Polytechnique de Paris, c’est ENSTA Paris qu’Ulrich Junior souhaite intégrer. « Je m’étais bien sûr renseigné en amont sur les cursus des écoles, et ENSTA Paris, avec sa majeure « Mécanique » de deuxième année, était clairement celle qui offrait le plus de cohérence avec mon parcours initial en master mécanique ainsi que mes centres d’intérêt. »
Reçu au concours, une nouvelle difficulté se pose : comment financer ces études à l’étranger lorsqu’on est cadet d’une famille modeste de 7 enfants ?
« Au vu de mes relevés de notes, l’administration d’ENSTA Paris m’a accompagné pour déposer une demande de bourse Excellence Eiffel. Ces bourses sont attribuées par le ministère de l’Europe et des affaires étrangères aux meilleurs étudiants étrangers. Je l’ai fort heureusement obtenue, sans quoi j’aurais été obligé de me désister de ma candidature à ENSTA Paris. »
Cercle vertueux de l’engagement citoyen
Une fois arrivé à ENSTA Paris directement en deuxième année, c’est un véritable cercle vertueux qui s’engage pour Ulrich Junior. En effet, chaque étudiant d’ENSTA Paris se doit durant son cursus de consacrer au moins 40 heures de son temps à un engagement citoyen permettant de favoriser la cohésion sociale. Les possibilités sont nombreuses entre soutien scolaire bénévole, Cordées de la réussite, mais aussi accompagnement de personnes en situation de handicap.
C’est cette option que choisit Ulrich Junior en s’engageant dans l’association « Hansemble » de Magny Les hameaux dont l’objet est de faire participer des personnes handicapées à des épreuves sportives grâce à des dispositifs adaptés comme les « joëlettes », ces fauteuils roulants tout-terrain qui permettent de s’aventurer en dehors des sentiers battus, y compris en forêt.
Ces sorties sportives en groupe sont bien sûr l’occasion pour chacun de parler de lui, de ses activités, de ses rêves. Tout naturellement, Ulrich Junior parle de son intérêt pour l’espace, mais aussi du stage de recherche qu’il doit effectuer à la fin de l’année, et qu’il aimerait idéalement effectuer dans un laboratoire d’astrophysique. Un des membres de l’association l’entend et l’informe qu’un autre membre, Franck Delahaye, travaille justement dans un laboratoire de l’Observatoire de Paris, le LERMA !
Ulrich Junior et Franck font connaissance, et il se trouve qu’un stage est à pourvoir dans son labo ! Ulrich Junior candidate et est retenu. Commence alors pour lui un stage extraordinaire, en prise directe avec sa passion.
À l’aube de nouveaux mondes
« J’ai eu la chance de travailler dans un des laboratoires de l’Observatoire de Paris, le LERMA. L’objet du stage, le calcul des nouvelles opacités pour la modélisation stellaire, s’intégrait dans le contexte d’une mission spatiale qui doit partir en 2026, Plato, et dont l’objectif est de détecter des exoplanètes, des planètes tournant autour de lointains soleils. Une des méthodes de détection de ces exoplanètes est celle dite des transits : on observe une étoile dans l’espoir de voir sa luminosité baisser très faiblement lorsqu’une planète passe devant, provoquant une mini-éclipse. Cela permet d’en déduire la taille de la planète et sa période de rotation. Mais pour cela il faut bien connaître les caractéristiques de l’étoile. L’idée était de pouvoir fournir un code informatique qui allait aider le satellite à déterminer ces caractéristiques cruciales comme son âge, sa masse, sa densité. J’ai travaillé sur un code Fortran qui avait déjà été développé par le LERMA pour l’améliorer avec de nouvelles données afin de l’adapter à la mission. »
Une première incursion dans le domaine spatial qui a confirmé l’intérêt d’Ulrich Junior pour cette thématique, et ses orientations dans la suite de son parcours académique.
Le doctorat en ligne de mire
« Pour ma troisième année à ENSTA Paris, j’ai décidé d’opter pour le cursus doctorat qui me permet de suivre le master « Fluid mechanics » de l’Institut Polytechnique de Paris, l’idée étant de m’intéresser plus particulièrement à tout ce qui a trait à la mécanique des fluides dans les chambres de combustion des moteurs-fusées. Par la suite, l’idéal serait d’enchaîner avec une thèse dans le domaine de la propulsion spatiale, qui permettrait d’allier mon intérêt pour l’espace et pour la mécanique, par exemple chez ArianeGroup, Airbus ou l’Onera. »
Jusqu’où ira l’enfant des Hauts-Plateaux qui rêvait des étoiles ?
« A l’heure des choix professionnels, j’aimerais vraiment contribuer de manière technique au lancement de missions spatiales. Il me reste encore du chemin à parcourir, mais je n’ai pas oublié la leçon de mes parents sur le travail et la détermination, avec lesquels tout est possible. Jusque-là, elle m’a plutôt réussi. »