Le Polar Pod bientôt une réalité

La construction du Polar Pod, le dernier projet de l’explorateur Jean-Louis Etienne, débutera en 2022. Rencontre avec Laurent Mermier, ENSTA Paris 1992 et architecte de ce navire océanographique pas comme les autres qui pourrait révolutionner notre compréhension des interactions entre l’Antarctique et les 3 océans qui le bordent.

Grand comme 28 fois la France, l’Antarctique est un continent recouvert d’une couche de glace épaisse de 2 km en moyenne. A lui seul, il concentre 70% des réserves terrestres d’eau douce et l’océan qui l’entoure, du fait de ses eaux froides et de sa grande profondeur, est un des principaux puits de carbone de la planète. Les interactions de cet océan, encore appelé courant circumpolaire antarctique, avec les océans Atlantique, Indien et Pacifique sont donc déterminantes pour comprendre l’évolution du climat. Pourtant, du fait de son éloignement des terres habitées et des conditions hostiles qui y règnent, l’océan Austral reste très mal connu.
Pour Jean-Louis Etienne, premier homme à atteindre le pôle Nord en solitaire en 1986, obtenir des données précises et continues sur cet océan Austral est une nécessité si l’on veut bâtir des modèles fiables d’évolution du climat. Mais comment mener une campagne d’exploration dans de bonnes conditions de sécurité sur ces mers constamment démontées que les marins appellent les cinquantièmes hurlants ?

Lorsque Jean-Louis Etienne soumet le problème à Laurent Mermier en 2010, le patron du cabinet d’architecture navale Ship ST se concerte avec son équipe. Antoine Tourtelier, l’expert technique de la bande, a tout de suite une idée : s’inspirer d’un autre navire océanographique, le RV Flip américain, bateau d’une centaine de mètres de long qui peut s’immerger partiellement à la verticale en emplissant ses réservoirs d’eau, devenant peu sensible à la houle.

Le RV Flip, précurseur du Polar Pod
Le RV Flip, lointain précurseur du Polar Pod, toujours en activité après 60 ans de service, en cours de basculement à la verticale après remplissage de ses ballasts. Crédit: U.S. Navy/John F. Williams
Le Polar pod à la verticale
Le Polar Pod à la verticale avec ses ballasts remplis, très stable par rapport à la houle : 5° d'inclinaison dans le temps moyen de l’océan Austral et un mouvement vertical qui ne dépasse pas 10% de la hauteur des vagues. Crédit : Sylvain Bergeon

Au final, le Polar Pod mesurera lui aussi une centaine de mètres de long, pèsera 1000 tonnes et pourra accueillir confortablement un équipage de 8 personnes dans la nacelle qui restera constamment au-dessus des flots. La structure principale sera constituée d’un treillis métallique, contrairement au monotube du RV Flip, inadapté au régime des houles des régions polaires. La nacelle sera prolongée de deux passerelles qui serviront de support aux expériences scientifiques, mais aussi de flèches de grue pour les opérations de transbordement.

Elles feront également office de mâts horizontaux puisqu’elles seront équipées de 260 m² de voiles qui offriront une capacité de manœuvre au navire. En cas d’urgence, par exemple en cas de risque de collision avec un iceberg, un propulseur latéral alimenté par un groupe électrogène de 200 kW permettra à l’équipage de se mettre hors de danger.
Conçu pour être un navire à zéro émission, les installations techniques et scientifiques seront alimentées par 6 éoliennes, solution la plus efficace dans cette région du globe où les vents sont permanents. Bien sûr le Polar Pod sera irréprochable en matière de gestion des déchets, ceux-ci étant conservés à bord, compactés puis transférés sur le navire ravitailleur. Les eaux usées seront recueillies et traitées à bord.

Les éoliennes du Polar Pod
La production d'électricité sera assurée par 6 éoliennes. Crédit : Nicolas Gagnon

S’agissant du programme scientifique, il comprendra 4 volets :
- Étude des échanges entre l’atmosphère et l’océan, mesure de la capacité de l'océan Austral à absorber le CO2, mesures océanographiques physiques (vent, courant, houle) très précises grâce à la stabilité verticale du Polar Pod.
- Analyse de l’eau de mer afin de mesurer l’impact des activités humaines sur l’océan Austral (micro plastiques, pollutions diverses) en dépit de son éloignement de toute terre habitée
- Validation et calibration des mesures satellites, notamment mesure de la montée du niveau des océans mais aussi leur couleur, vitesse et direction du vent.
- Inventaire de la faune marine et en particulier des cétacés grâce à des hydrophones, mesures là encore très précises par la suppression de tout bruit de propulsion en fonctionnement nominal.

Les instruments scientifiques seront répartis sur les passerelles
En plus des passerelles supportant voiles et éoliennes, une perche mettra certains instruments scientifiques très sensibles à l'écart de la nacelle. Crédit : Nicolas Gagnon
Le Polar Pod amené sur zone grâce à un remorqueur
Le Polar Pod sera remorqué jusqu'au courant circumpolaire antarctique. Crédit : Nicolas Gagnon

Prévu pour dériver au fil du courant, le Polar Pod devrait mettre entre deux et trois ans à boucler les 22 000 kilomètres de son périple autour de l’Antarctique. L’équipage sera relevé tous les deux à trois mois, selon les difficultés d’accès, grâce au navire de ravitaillement qui se tiendra à disposition de la mission depuis différents ports d’attache en fonction de son avancement.

Du fait de l’éloignement des moyens de secours, une attention toute particulière a été portée à la sécurité de l’équipage. Le Polar Pod, réalisé en acier à haute résistance, a été conçu pour survivre à des vagues de 34 mètres de haut. Surpassant les contraintes réglementaires, il est également équipé d’un grand canot de sauvetage de 8 mètres de long qui lui permettrait d’évacuer tout l’équipage et d’aller au-devant des secours en cas de besoin. De très nombreuses études ont été menées pour assurer qu’il n’entrera pas en résonance avec la houle, et sortirait sans dommage d’une collision avec un growler, morceau d’iceberg de la taille d’une voiture.

Le Polar Pod taillé pour affronter la tempête
Le Polar Pod a été conçu pour survivre à des vagues de 34 mètres et à une collision avec de petits icebergs indétectables au radar. Crédit : Nicolas Gagnon

Maintenant que ce projet, que Jean-Louis Etienne appelle sa « cathédrale », résumant ainsi l’ambition et la durée de mise au point du projet, approche de sa concrétisation, que peut-on imaginer pour la suite ?

« Avec ce principe d’observatoire zéro émission qui permet de suivre dans la durée l’évolution du milieu maritime, nous sommes en train de défricher une nouvelle façon de faire de la science dans ces régions reculées et hostiles » s’enthousiasme Laurent Mermier. « Si l’expérience se montre concluante, des instituts océanographiques étrangers sont prêts à la prolonger avec plusieurs plateformes simultanées. »

Mais il voit aussi au-delà : « Ce principe d’immersion partielle pourrait être réutilisé pour des éoliennes en mer, ou d’autres énergies marines renouvelables, simplifiant la mise en œuvre, limitant l’impact sur l’environnement, facilitant maintenance et démantèlement. »

Au final, l’impact positif sur l’environnement du Polar Pod pourrait aller bien au-delà du simple constat scientifique, et nous amener à pousser encore plus loin le respect des milieux naturels.