Y aura-t-il toujours des vaches laitières pour faire du camembert en Normandie en 2090 ? Des pommiers dans le Lot-et-Garonne ? Dans ce futur pas si lointain, la récolte d’abricots sera-t-elle bonne dans le nord de la France ? C’est à ce genre de questions étonnantes et provocatrices, riches d’implications socio-économiques et politiques, qu’ambitionne de répondre l’agroclimatologie, la discipline de Serge Zaka. Selon les scénarios d’évolution des concentrations de gaz à effet de serre, nos paysages évolueront en effet de façons très différentes, et les impacts sur les cultures et les paysages seront plus ou moins forts.
Des paysages redessinés
Serge Zaka commence par rappeler qu’à partir de 2070, il fera à Paris la même température moyenne sur l’année qu’à Montpellier aujourd’hui. Mais le paysage parisien actuel n’est évidemment pas adapté à cette température. Le paysage va donc être amené à changer. Et avec lui les écosystèmes. Le climat parisien devenant aquitain, il sera possible d’y cultiver de la vigne. Même chose à Lyon et à Toulouse, où on aura de la garrigue, et les cultures associées.
L'agroclimatologue a ainsi dessiné quelques grandes tendances : le chêne vert remontera du sud vers le nord de la France, tandis que le hêtre disparaitra à peu de nos forêts, trouvant refuge en altitude. Il y aura un paysage de steppes et de savanes à Nîmes, une végétation clairsemée mais où on pourra tout de même avoir de l’agriculture, comme le prouve la plaine de la Bekaa au Liban, ou encore les environs de Cordoue ou Séville en Espagne. Mais faudra immanquablement changer de cultures et de types d’élevage : olives, vignes, nèfles, figues de barbarie, tomates, cacahouètes, pistaches, pois chiches, caprin, ovin, blé dur d’hiver. Et cela suppose la mise en place de nouvelles filières agricoles.
Événements climatiques extrêmes
Serge Zaka est revenu en détails sur les phénomènes météorologiques hors-normes de ces dernières années. En avril 2021, la France a été confrontée à une très forte descente d’air polaire. Celle-ci a eu un énorme impact sur la production agricole, avec plus de 4 milliards d’euros de pertes, ce qui en fait la première catastrophe agricole à l’échelle nationale du XXIe siècle, et des rendements d’une faiblesse inédite depuis la seconde guerre mondiale. Succédant à une vague de chaleur en mars, cette vague de gel a tué les fleurs de plantes très en avance sur la saison.
Puis en 2022, ce sont 3 canicules qui se sont succédé, entraînant une sécheresse majeure et des incendies exceptionnels par leur ampleur et leur durée en Gironde. Une dépression située au large du Portugal a fait remonter un air très chaud depuis le sud, entrainant là encore de très fortes baisses des rendements agricoles sur à peu près tous les types de cultures, ainsi que le fourrage pour animaux.
S’il y a toujours eu des canicules, leur intensité et leur fréquence s’accentue, et il s’en produit plusieurs par an. Entre 1940 et 2000, il y a eu 17 canicules, soit 0,28 par an. Depuis les années 2000, on a 1,17 canicules par an, soit une augmentation par 4. On plonge dans l’inconnu s’agissant des conséquences sur les plantes et les cultures, et leur capacité à supporter ces épisodes extrêmes.
Le nombre de jours supérieurs à 35°C est très important en agriculture. Si vous avez un maïs en floraison, la pollinisation s’arrête, la courgette perd ses fleurs, la tomate aussi, la vigne commence à souffrir. A Nimes, en 2070, il y aura 40 jours par an à plus de 35°C, avec des pics à 60 jours.
Des raisons d’espérer
Tout cela démontre que la France n’est pas encore prête à faire face aux conséquences du changement climatique. Mais dans 30 ans, l’année 2022 sera une année parfaitement « normale ». Il faut donc imaginer dès maintenant des moyens de s’adapter à la nouvelle donne climatique.
De 1815 jusqu’en 1945, les rendements du blé en France étaient extrêmement bas. Après la seconde guerre mondiale, la mécanisation et la chimie ont permis une explosion des rendements, multipliés par 7. Mais depuis les années 2000, le rendement plafonne. Pour le blé, c’est clairement lié aux épisodes de sécheresse et de canicule lorsque le grain se remplit. A l’inverse, les rendements augmentent en Pologne et en Russie, cette dernière étant déjà premier exportateur mondial depuis 2019.
Alors, quelles solutions pour s’adapter et ne pas devenir dépendant sur le plan agricole ? Serge Zaka se veut raisonnablement optimiste en annonçant d’emblée que l’agriculture offre de nombreuses solutions : travailler sur la génétique, sans nécessairement créer d’OGM, afin de sélectionner des variétés plus résistantes à la chaleur, changer de production, privilégier l’ovin et le caprin, modifier les paysages en réintroduisant haies et arbres afin d’offrir de l’ombre aux cultures et créer des microclimats parcellaires.
On peut aussi travailler sur le matériel, le numérique, par exemple des colliers connectés qui permettent de détecter le stress des animaux, ou encore l’agriculture de conservation des sols qui permet de stocker azote et CO2.
En guise de conclusion, Serge Zaka a appelé les nombreux étudiants et étudiantes présents à se saisir de la complexité des problématiques posées par la consommation de viande, les filières locales et le gaspillage alimentaire, qui s’il était un pays serait le 3e émetteur de gaz à effet de serre au monde, ce qui équivaut à l’ensemble du transport routier mondial.
La conférence proprement dite a été suivie d’une séance de questions-réponses particulièrement dense, signe de l’intérêt suscité par ces questions dans le public étudiant venu nombreux.
La prochaine conférence du cycle des Lundis d’ENSTA Paris aura lieu le 12 décembre et accueillera Maxence Cordiez pour une conférence sur les crises énergétiques.