Réseaux énergétiques : l’optimisation fait la force

Qu’il s’agisse d’assurer la production d’électricité ou de concevoir des réseaux de distribution d’hydrogène, les techniques mathématiques d’optimisation fournissent des solutions à de nombreux problèmes énergétiques d’échelle industrielle. Rencontre avec Sourour Elloumi, professeure de recherche opérationnelle à ENSTA Paris et spécialiste des questions d’optimisation.

Alors que les tensions sur le marché de l’énergie en Europe font craindre de possibles coupures de courant cet hiver, c’est peut-être l’optimisation, jointe à des efforts de modération de consommation, qui permettra de passer ce cap difficile. « Mon travail consiste à modéliser et résoudre des problèmes industriels » annonce d’emblée Sourour Elloumi, soulignant à la fois le caractère très appliqué d’une partie de ses recherches, mais aussi leur impact lorsqu’elles sont déployées. « Pour moi, résoudre signifie trouver une solution qui respecte un certain nombre de contraintes, et optimise un objectif. »

Sourour Elloumi professeure de recherche opérationnelle ENSTA Paris
Sourour Elloumi, professeure de recherche opérationnelle à ENSTA Paris et spécialiste des questions d’optimisation.

En matière d’énergie, un problème classique est celui dit de l’engagement des unités. Il est aussi vieux que la production d’électricité, mais se renouvelle sans cesse au fil des évolutions du parc de production et aussi du mix énergétique, en particulier avec l’intégration des énergies renouvelables.

« Le problème d’engagement d’unités peut être schématisé comme suit : » explique Sourour Elloumi.  « On a d’un côté des générateurs, de l’autre une demande journalière d’électricité. On connaît le coût de mise en route de chaque type de générateur, et combien ils produisent. La question de base est, pour une période donnée, combien de générateurs et de quel type dois-je allumer pour satisfaire au mieux la demande tout en minimisant les coûts ? »

Posé de la sorte, le problème a l’air simple. Mais ajoutez-y les évolutions de la météo, qui influent non seulement sur la demande (plus il fait froid, plus on a besoin d’électricité pour se chauffer) mais aussi sur l’offre avec les renouvelables (sans vent, pas d’éolien, et sans soleil, pas de solaire), et il se complexifie très vite.

« Notre plus grand ennemi en tant qu’optimiseurs, c’est la taille des données. La progression de la difficulté n’est pas du tout linéaire. On peut être parfaitement en mesure de gérer 100 unités de production, et être complètement dépassés bien avant d’arriver à 1000. C’est ce qu’on appelle l’explosion combinatoire, un stade auquel on n’a plus aucun moyen de maîtriser le temps de calcul » souligne Sourour Elloumi.

Le quotidien des optimiseurs consiste en effet à approcher le problème réel pour diminuer sa difficulté de résolution en faisant de bonnes approximations. « La meilleure stratégie, c’est souvent de découper le problème principal en problèmes plus petits, par exemple en optimisant par sous-ensembles de variables » confirme l’enseignante-chercheuse. « De nombreux industriels font appel à nous afin de garantir l’optimalité de leurs calculs, et de la prouver. Nous concevons des prototypes de méthodes et algorithmes de résolution, qui vont par la suite être industrialisés, intégrés aux processus informatiques des industriels. »

 

Dans les années à venir, alors que la priorité ira à la décarbonation des énergies, de nouveaux défis attendent les optimiseurs. « Nous avons été sollicités récemment pour poser les bases théoriques d’un réseau de transport d’hydrogène vert : où mettre les canalisations en fonction des lieux de production et de consommation, quel diamètre leur donner ? Il s’agissait d’un domaine d’application nouveau pour nous, même si certains principes de conception des réseaux restent les mêmes. »

Schéma du réseau français de pipelines d'hydrogène optimisé
Schéma du réseau de pipelines d'hydrogène calculé par nos méthodes sur le cas d'étude France

Des travaux de recherche que Sourour Elloumi et Natalia Jorquera-Bravo, doctorante à l’Unité de mathématiques appliquées, ont récemment présentés lors des journées du Programme Gaspard Monge pour l’Optimisation, la recherche opérationnelle et leurs interactions avec les sciences des données, qui se sont déroulées les 29 et 30 novembre 2022.

Les très nombreux exposés de ces journées, dont Sourour Elloumi est coordinatrice adjointe, ont permis de livrer un aperçu du dynamisme et des nombreux domaines d’application de l’optimisation, lesquels vont bien au-delà du domaine énergétique.