Augmenter la cadence des accélérateurs laser-plasma

Les accélérateurs de particules laser-plasma sont une des grandes promesses d’application des lasers pour la prochaine décennie. Mais de nombreuses améliorations doivent encore leur être apportées avant de prétendre rivaliser avec les accélérateurs linéaires, et révéler tout leur potentiel applicatif. C’était un des enjeux de la thèse de Lucas Rovige, soutenue au LOA en novembre 2022.

Les applications scientifiques, industrielles ou encore thérapeutiques des accélérateurs de particules sont innombrables. Mais les dimensions des installations conventionnelles, et les coûts associés, réduisent considérablement leur possibilité d’usage. Serait-il techniquement faisable de les remplacer par des accélérateurs laser-plasma, de dimensions beaucoup plus réduites ?

Les grandes dimensions des accélérateurs de particules en service aujourd’hui sont dues à la technologie utilisée, celle des cavités radiofréquences. Il s’agit d’enceintes métalliques abritant un champ électromagnétique qui produit des champs accélérateurs limités, sous peine d’atteindre la tension de claquage qui endommagerait les installations.

Pour atteindre les vitesses et donc les énergies souhaitées, il faut beaucoup d’élan, ce qui explique des dimensions se chiffrant en kilomètres, jusqu’à 27 pour le Grand collisionneur de hadrons du CERN, à cheval sur la frontière franco-suisse. Si l’on voulait gagner plusieurs ordres de grandeur en matière d’énergie, il faudrait encore augmenter la taille de l’accélérateur, et on parle aujourd’hui d’accélérateurs d’une centaine de kilomètres de circonférence, une course au gigantisme dont on perçoit vite les limites.

Comment accélérer plus vite ?

Une autre stratégie se fait jour grâce aux accélérateurs laser-plasma : en ayant recours à un milieu accélérateur déjà ionisé, ce qui est la définition même du plasma, on s’affranchit de la limite de claquage qui définit la valeur maximale du champ électrique. Un laser ultra-intense et ultra court vient créer une onde plasma dans ce milieu, et potentiellement atteindre des champs accélérateurs très élevés, de l’ordre de la centaine de gigavolts par mètre : des accélérateurs centimétriques deviennent envisageables.

Ce principe, proposé pour la première fois par les chercheurs Tajima et Dawson en 1979, est au cœur des projets d’accélérateurs laser-plasma dont le centre Laplace se veut le prochain fer de lance en France. Il a été mis en œuvre expérimentalement dès le milieu des années 1990, perfectionné en 2004 notamment au LOA. En 2019, un record d’accélération d’électrons a été atteint avec des énergies de 8 giga-électronvolts. Cependant une limite des accélérateurs laser-plasma est aujourd’hui leur faible cadence comparée à celle des accélérateurs traditionnels.


18 millions de tirs sans coup férir

Un des enjeux de la thèse de Lucas Rovige était de trouver des stratégies pour augmenter significativement ces cadences, en commençant par les faire passer du hertz au kilohertz. Pour cela, il a utilisé le système laser de la « salle noire » du LOA, développé par l’équipe de Rodrigo Lopez Martens, qui fournit des impulsions de 1 Terawatt au kilohertz.
Un des premiers aspects cruciaux de sa recherche a été d’améliorer la stabilité de l’accélérateur en explorant un large ensemble de paramètres expérimentaux pour optimiser l'accélérateur en contrôlant la densité et le profil plasma, la durée des impulsions, le type de gaz et le mécanisme d'injection utilisés dans les expériences. L’objectif a été atteint avec 5 heures de fonctionnement de l’accélérateur de façon continue et autonome, sans intervention extérieure, ce qui correspond à plus de 18 millions de tirs consécutifs.

Spectre en energie des electrons pendant les 5 heures de fonctionnement en continu de l'accélérateur laser plasma.
Spectre en énergie des électrons pendant les 5 heures de fonctionnement en continu de l'accélérateur laser plasma.

Application en radiothérapie

Fort de cette nouvelle stabilité acquise, Lucas Rovige a pu réaliser une première expérience d’application de l’accélérateur en radiothérapie, où l’objectif est de détruire des cellules cancéreuses en les irradiant. L’idée était de vérifier la capacité des accélérateurs laser-plasma à servir de source de rayonnement en radiothérapie.

En effet, en 2014, une équipe de radiobiologistes français a démontré qu’utiliser des impulsions brèves avec de forts débits de dose augmentait largement la sélectivité de la radiothérapie, réduisant les effets néfastes sur les tissus sains. Les accélérateurs laser-plasma permettent d’atteindre des débits de dose instantanés particulièrement élevés, ce qui en fait des candidats très intéressants pour la mise en place de ce nouveau protocole d’irradiation appelé radiothérapie FLASH.

L’expérience menée au LOA sur des cellules de cancer colorectal a démontré que l’accélérateur laser-plasma au kilohertz était parfaitement adapté pour délivrer une dose contrôlée à un échantillon biologique et ouvre la porte à des études plus poussées sur le rôle de la structure temporelle de la dose en radiothérapie.

Avec ses nombreux résultats et une première application en matière de radiothérapie, la thèse de Lucas Rovige a largement atteint ses objectifs initiaux et ouvert de nouvelles pistes que d’autres travaux de thèse au LOA permettront d’explorer afin de révéler tout le potentiel des accélérateurs laser-plasma.

 

Lucas Rovige lors de sa soutenance de thèse
Lucas Rovige lors de sa soutenance de thèse au LOA en novembre 2022